Vingt ans après

Nous éprouvons tous une tendance naturelle à nous rappeler les saisons passées plus belles qu’elles ne le furent. Notre jeunesse enfuie y est pour quelque chose. Le progrès technique a aboli les distances, au moins à l’échelle de la planète : jadis, quand on partait pour une destination lointaine, on n’était jamais vraiment sûr d’en revenir ; aujourd’hui, on sait qu’un coup d’aile nous ramènera chez nous en quelques heures. Voyager dans l’espace est devenu trivial, mais le voyage dans le temps, lui, demeure une grande porte close, probablement pour toujours.

Cette irréversibilité du temps qui s’écoule donne de la valeur aux choses comme aux souvenirs, que l’échéance des nombres ronds a tendance à convoquer plus souvent qu’à leur tour. C’est ainsi que nous célébrons aujourd’hui le vingtième anniversaire de la Chouette d’Or, anniversaire qu’il est commode de fixer, non pas à la date de sortie du livre, que personne ne connaît exactement et qui varia de toutes façons selon les régions et les libraires, mais à cette fameuse nuit où Max Valentin enterra la célèbre contremarque dans la cache souterraine dont personne (sauf lui-même, une fois) ne l’a plus fait sortir depuis.

Et bien entendu, cette même nuit que nous nous apprêtons à vivre, comment pourrions-nous oublier qu’elle fut également fatale à notre ami Max il y a maintenant quatre ans ?

Il y a 20 ans, le monde des grandes chasses au trésor n’existait pour ainsi dire pas, en tous cas en France. Il y a 10 ans, il était devenu florissant (largement grâce à la Chouette et aux autres créations de Max), mais aussi parcouru de divergences, de solides inimitiés, de jalousies à connotations commerciales, de rancœurs, de divisions, de querelles de clocher. Aujourd’hui, il n’existe de nouveau plus : hormis quelques initiatives de peu d’ampleur et de courte durée surgissant çà et là, les grandes chasses nationales et internationales sont mortes, faute de sponsors, éloignés par quelques épisodes peu savoureux et peu professionnels où s’illustrèrent le copinage et la tricherie.

Reste la Chouette, restent les chouetteurs. Sur elle aussi, on a tenté de faire planer certains soupçons, par envie, jalousie ou pure volonté de nuire, mais en définitive aucun de ces soupçons ne s’est jamais confirmé. Autant Max (paix à son âme !) s’était montré trop confiant envers certains dans la phase de gestion opérationnelle de son jeu, une fois celui-ci lancé, autant il s’était entouré de toutes les précautions nécessaires durant la phase de préparation, de telle sorte que rien n’a filtré, et que ce qui devait filtrer était conçu dès le départ pour être, en pratique, inutilisable pour quiconque essaierait de s’en servir pour localiser la contremarque par des moyens déloyaux, si jamais il devait y en avoir, ce qui, après tout, n’est pas avéré.

La Chouette, qui détient depuis déjà quelque temps le record de longévité pour une chasse au trésor ludique, reste donc seule, virgo intacta dans son écrin de glaise, traversant les décennies, à cheval sur deux siècles et deux millénaires. Plus le temps passe, plus elle prend des airs de Graal. Nombreux sont ceux qui la cherchaient à l’origine, et qui ont depuis abandonné ; il en reste quelques-uns. D’autres sont venus, des jeunes qui ne savaient pas encore lire quand le livre a été publié, et l’on attend en frémissant à la fois d’impatience et d’angoisse le moment où arrivera le premier chouetteur qui n’était pas né lorsqu’elle fut enterrée… Globalement, les effectifs ont très largement diminué, pour l’essentiel du fait de l’absence totale de communication autour du jeu, conséquence logique de l’absence de « meneur de jeu ». Néanmoins, les fidèles sont toujours là, parfois depuis la première heure, et la Chouette fait maintenant tellement partie de leur vie que l’on se demande parfois ce qu’ils redoutent le plus : de ne jamais la trouver, ou au contraire qu’elle soit trouvée, créant dans leur existence un « manque » qu’il faudra du temps pour combler ?

Au-delà de ces inquiétudes et de ces espoirs, nous devons surtout nous rappeler que ce jeu magnifique a donné à des dizaines de milliers de personnes le goût de la recherche, de la lecture, de la culture, la motivation nécessaire pour aborder des domaines historiques, géographiques, scientifiques qui les auraient définitivement rebutés en toute autre circonstance, et qu’ainsi la Chouette a constitué une extraordinaire « machine à apprendre », permettant de constater, chemin faisant, que se cultiver n’est pas forcément ennuyeux et pénible, mais qu’on peut au contraire y trouver du plaisir.

Dans ce merveilleux voyage culturel que la Chouette nous a permis d’entreprendre, infiniment nombreux sont ceux qui n’arriveront jamais à destination, puisqu’un seul, ou un petit groupe, découvrira un jour le trésor… si toutefois cela arrive. Mais tous devront se rappeler que, comme le disait, je crois, Steve Jobs, The journey is the reward : c’est le voyage en lui-même qui est notre récompense, pas le fait d’arriver au bout. Tel est le legs que Max nous fait, et celui-là, il appartient sans discrimination à tous les chouetteurs.

~ par monglane sur 24 avril 2013.

15 Réponses to “Vingt ans après”

  1. Bonjour et merci pour avoir pris le temps d’écrire la juste expression de ce que je ressens moi aussi en effet en cette date anniversaire si particulière. C’est vrai que le jeu de la chasse de la chouette d’or a accompagné et transformé la vie de beaucoup de chercheurs passionnés dont je suis, par épisode, en leur permettant de réfléchir, se torturer l’esprit, rêver et de développer leur intelligence en multipliant les hypothèses à l’infini, parfois loufoques, durant ces vingts années. Pour cela, le génial Max ne sera jamais assez remercié. En réunissant l’énergie et l’imagination et les moyens dépensées par tous les chercheurs réunis dans ce jeu durant ces vingts années, que n’aurions pu ne pas réussir ? C’est presque dommage que ce n’ait été qu’un jeu… Et oui, j’en parle maintenant au passé car, hélas, le temps use et fatigue tout et en effet, en absence de meneur de jeu et de nouveaux indices, si J’espère toujours que la chouette sera découverte un jour,( par moi ou un autre), l’issue devient de plus en plus hypothétique et finira par tomber dans l’oubli, avec tout un pan de notre vie. Seuls les souvenirs resteront dans nos imaginations et continueront de hanter nos rêves… Encore Merci à MAX. Jean-Pierre.

    Le 24 avril 2013 08:38, « Monglane — Le blog »

  2. Merci pour ce joli mot et j’insiste sur l’envie de discuter un peu avec vous.

    • Merci pour ton message, mais comme j’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises depuis déjà pas mal d’années, ici ou par mail, je ne souhaite pas discuter des énigmes avec les chouetteurs, car avec toutes celles et tous ceux qui me font la gentillesse de me solliciter, j’y passerais ma vie.

      J’espère que tu comprendras.

      D’autre part, il me semble assez stérile de discuter de sujets tels que « la contremarque est-elle toujours en place? » (évidemment qu’elle l’est!) ou « comment puis-je être sûr de pouvoir échanger la contremarque en bronze contre la Chouette en or? » (commence déjà par trouver la contremarque et le plus difficile sera fait!).

      Cordialement.

  3. Très bel article, extrêmement juste… Je réagis entre autres car me sentant concerné, la chouette est plus vieille que moi! Ce temps est donc arrivé 😉
    Très cordialement, lisant ces articles avec toujours le même plaisir…

    • Merci David, et bravo à la nouvelle génération à laquelle en souhaite davantage de succès que n’en a eu la précédente!

      Cordialement.

  4. hello Monglane,je cherche la cache activement depuis trois ans,et j’envisage l’internement psychiatrique…tu semble dire que la solution est hors de portée-nan,pas de jeu de mots-des chasseurs,et Chronos te donne raison depuis maintenant plus de 7300 jours sidéraux…dois-je selon toi laisser tomber l’idée d’être l’inventeur de la contremarque,et me livrer pleinement à ma névrose psychotique,du haut de ces pyramides-et-tout-et-tout?ou garde-tu l’espoir qu’un fou comme moi finisse par deterrer l’objet de tant de convoitises?c’est trouvable,puisque Max le dis,non?tu à l’air de dire que la Chouette est dans son trou pour l’éternité-l’ETERNITE,mille excuses-mais pourtant,selon Max,si je ne me trompe,la chasse pourrait être résolue très vite si les joueurs compilaient leurs solutions…comment expliquer qu’après tant d’année de forums,et l’apparition d’internet,la compilation ne soit pas faite? ce qui bloque la quête serait l’abondance et la qualité des fausses pistes-essenciellement celles induites par les visuels,selon toi-qui inciteraient les joueurs à prendre une »autoroute »,là ou il faudrait emprunter une »voie de traverse »…je cherche la fameuse bretelle qui mène à la cache,une main au chaud dans la doublure de mon bombers,dos au ponant contre vents et marées,et,quelque part,je sais que les sentinelles veillent…tant pis si certains ne voient en mon espoir de mettre à jour la fameuse copie que le rêve d’un fou,tant pis si même toi tu as abandonné cet espoir de percer le secret du maître,je poursuis ma route,et n’interromperais mon parcours que quand…j’aurais résolu la B!amitiés,mat alias égide!

    • Première chose à avouer: je n’ai pas tout lu, l’absence de ponctuation et de paragraphes rendant cette lecture vraiment trop indigeste! Il faut aussi savoir y mettre les formes, si l’on veut être lu.

      Deuxième chose: ne confondons pas l’état de la quête tel qu’il résulte de la lecture du forum, et l’avancement éventuel de chercheurs solitaires, « orthodoxes » ou « traditionalistes », si l’on veut. Autant on réalise, à lire épisodiquement le forum, que ça patine, ça se répète, ça s’entre-clone et ça s’enlise depuis des années, à tel point que le forum est devenu une sorte de Facebook de la Chouette, une forme de réseau social qui sert surtout à expliquer aux autres comment on se sent aujourd’hui, autant il est possible que, quelque part, loin d’internet et loin du forum, loin des pollutions engendrées par les autres chercheurs, un ou une travaille dans son coin et progresse sur la bonne piste.

      Je me souviens, lorsque Max était encore des nôtres et que nous avions encore l’espoir que la contremarque soit trouvée dans un futur raisonnablement proche, avoir rencontré un tel chercheur dans le cadre du film que je tournais alors. Un garçon plutôt jeune, cultivé, diablement astucieux, qui cherchait comme on cherchait dans les années 80, avec des livres, des neurones et un téléphone. Il utilisait peu internet et n’allait jamais sur le forum; un membre de sa famille, non chercheur, y allait de temps à autre et c’est ainsi qu’il avait été mis au courant du projet de film. Il avait d’ailleurs été très réticent à me rencontrer, et s’était montré très soulagé quand il avait compris que je n’avais aucune intention de lui parler du microcosme des autres chercheurs, mais que j’étais seulement là pour l’écouter, lui.

      Il y a déjà longtemps que je suis convaincu que c’est par une personnalité de ce genre que la contremarque sera trouvée, si elle doit l’être un jour. Le forum aujourd’hui est devenu un trou noir qui absorbe tout, mouline, mastique, ressasse et aucun de ceux qui s’en approche n’échappe à l’attraction de cette formidable machine à polluer les idées. À mon sens, il est donc hautement improbable qu’aucun de ceux qui le fréquentent et en sont imprégnés parvienne jamais à résoudre toutes les énigmes —bien que je comprenne parfaitement l’attrait que le forum présente pour une majorité de chercheurs, et ce pour des raisons largement psychologiques.

      J’espère seulement qu’il existe, quelque part, un chercheur solitaire et déconnecté…

  5. Bonjour M. Monglane,

    Je viens de me lancer il y a 2 semaines dans la recherche de la Chouette. Au cours de mes recherches, j’ai appris le décès de M. Valentin et trouvé votre site.
    Ma question n’est en rien polémique, mais puis-je vous demander quel(s) lien(s) vous aviez avec M. Valentin?
    Pour un néo-chouetteur, je suis un peu perdu entre ce que je lis de Max Valentin, de M. Becker, de vous… et c’est juste pour me clarifier l’esprit que je pose cette question.

    Par avance, je vous remercie pour votre éventuelle réponse, et vous souhaite une bonne journée.
    T.S.

    • Bonjour Tom, et merci pour ton message.

      Pour faire simple, disons que Max et moi étions amis. Nous nous étions rencontrés, à son initiative, car j’avais été le premier chercheur de trésors ludiques à trouver un trésor enterré par lui (c’était dans le cadre des chasses dites « MSN », fin 1995 ou quelque chose comme ça, si mes souvenirs sont bons). Puis, nous nous sommes revus, nous avons peu à peu découvert que nous avions de nombreux points communs et goûts communs, qu’il nous plaisait de passer du temps ensemble à parler de tout et de rien, de nous prêter des bouquins (j’en ai toujours dans ma bibliothèque quelques-uns que je n’ai pas eu le temps de lui rendre) et ainsi l’amitié est née peu à peu. Je suis entré dans son cercle de famille proche, à Paris et en Lorraine, et lui dans le mien. Nous nous invitions pour passer les fêtes, ou pour des mariages. Quelques années plus tard, j’ai par le plus grand des hasards acheté une maison à Bois-d’Arcy, village proche de Versailles où lui-même habitait. Je dis « par le plus grand des hasards », car à la vérité, c’est ma femme qui avait eu un coup de cÅ“ur pour cette maison, alors que moi, Parisien endurci, je n’avais aucune intention de quitter la capitale intra muros, voir la Tour Eiffel et Montmartre depuis mes fenêtres me paraissant à l’époque indispensable… J’ai bien changé depuis.

      Bref, Max et moi étant devenus quasiment voisins (c’est vrai qu’en passant la petite poterne « secrète » en bas de mon jardin, puis en cheminant à travers la forêt jusqu’à la haie du bas de son jardin, on était à même pas 10 minutes de marche l’un de l’autre), notre amitié s’est cimentée d’une fréquentation plus habituelle et plus facile, jusqu’à ce qu’il prenne la décision de repartir en Lorraine, essentiellement, il faut bien hélas! le dire, pour des raisons financières. C’est dire à quel point ont pu être ignorants et ridicules ceux qui prétendirent qu’il s’était enrichi avec la Chouette. La vérité est qu’avant la Chouette, il occupait dans le marketing, pour le compte d’un grand groupe de cosmétique, un job très rémunérateur, et qu’il a fait le pari de tout lâcher pour se consacrer aux chasses ludiques, passion qu’il a communiquée à des dizaines de milliers de personnes, passion qui l’a rendu célèbre, mais aussi passion qui, au bout du compte, l’a amené au bord de la ruine.

      Après son retour en Lorraine, nous nous vîmes moins souvent, par la force des choses, essayant de compenser par le téléphone et les mails. Lorsqu’éclata l’affaire de la Chouette « prise en otage » par un liquidateur judiciaire, nous recommençâmes à nous voir plus souvent, soit parce qu’il devait venir à Paris pour organiser la défense, soit parce que j’allais le voir pour l’aider à la préparer. Puis, alors même que cette terrible épreuve semblait derrière lui, il tomba malade.

      Voilà, de manière très simplifiée, quels furent les « liens » que j’entretins avec Max jusqu’à sa disparition.

      Cordialement.

  6. Bonsoir Monglane,

    un grand merci pour cet éclairage, qui, selon moi, vaut toutes les déclarations de respect et d’intégrité du monde.

    Je ne désespère pas de chercher la chouette, je désespère de la trouver 🙂
    Tant d’autres s’y sont heurtés.
    J’espère sincèrement que quelqu’un la trouvera, car c’est comme résoudre une belle équation : une fois la démonstration sous les yeux, ça paraîtra simple…

    Cordialement,
    Thomas

  7. Bonjour Monglane Je viens vers vous tout simplement pour que vous me filmiez en train de déterrer la chouette . Si vous voulez plus d’informations, n’hésitez pas à me poser des questions à cette adresse mail. Philippe

    Date: Wed, 24 Apr 2013 06:38:07 +0000 To: sartelet@hotmail.com

    • Comme vous avez pu le lire çà et là sur ce blog, j’ai abandonné mon projet de film à la suite du décès de Max et ne puis donc répondre favorablement à votre demande, dont je vous remercie.

      Je vous souhaite néanmoins bonne chance pour votre prochaine expédition! Vous ne serez pas le premier, mais si seulement vous pouviez être le dernier… :o)

      Cordialement.

      • Bonjour Monglane

        As-tu une adresse mail active à laquelle on peut te joindre, car j’ai une question particulière à te poser.

        Cordialement

      • Bonjour,

        On peut m’écrire à monglane arobase wanadoo point fr, mais merci de noter que je ne réponds à aucune question concernant le fond des énigmes ou les hypothèses de solutions des uns et des autres.

        Cordialement.

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