Retour sur une chasse passée… mais laquelle ?

Autant j’ai souvent du mal à mémoriser les visages et les noms qui vont avec, autant ma mémoire visuelle fonctionne avec une acuité et une précision étonnantes pour les objets ou les lieux. Je ne sais pas quelles conclusions (sans doute peu flatteuses) le psychologue de service au Café du Commerce en tirerait, mais toujours est-il qu’il y a quelques jours, alors je circulais en Bourgogne pour préparer un bouquin sur les abbayes romanes, voilà-t-y pas que j’aborde un village —disons plutôt un hameau— portant l’étrange nom de Pierre-Écrite.

Fugitivement, je me suis demandé de quel menhir ou dolmen il pouvait s’agir (« récupéré » par la chrétienté aficionada de scripta —qui, comme chacun le sait, manent— ou porteur d’inscription plus anciennes, romaines ou autres), mais bien vite ma pensée à dévié sur le proverbial chemin de traverse : Pierre-Écrite, ce nom ne m’était pas inconnu. J’étais déjà venu ici, ou au minimum je m’étais intéressé à cet endroit de manière approfondie…

Je cheminais à l’allure réglementaire de 50 km/h sur la longue rue constituant l’artère principale (pour ne pas dire la seule) du village, lorsque, sans vraiment y prêter attention, j’accrochai du coin de l’œil, en passant, la vision d’une longue bâtisse à un seul étage, paraissant dater d’un siècle ou deux, et sur laquelle, à hauteur de l’étage, deux plaques commémoratives avaient été apposées, de part et d’autre d’un frêle petit balcon qui prolongeait une fenêtre étroite.

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Vue générale de la maison telle qu’elle m’est apparue

 

Je n’eus pas le temps de lire ces plaques, ni même de tourner la tête pour bien les voir : j’étais déjà passé. Alors que je continuais mon chemin, j’acquis la conviction que je connaissais cette maison, que je l’avais déjà vue, que j’avais su, jadis, ce qui était gravé sur ces plaques… Étrange impression en vérité, car en même temps, ce village tout en longueur que je continuais à parcourir, ne m’éveillait aucun souvenir particulier. C’était comme si la maison elle-même, et ses plaques, m’étaient très familières, sans pour autant que je fusse jamais venu à Pierre-Écrite. Comment cela était-il possible ?

Il n’y avait qu’une solution : faire demi-tour. La route, de même que le village, étant rigoureusement déserte en cette douce fin d’après-midi de juin, je n’eus aucun mal à revenir sur mes pas, puis à garer la voiture un peu à l’écart. Alors que je m’approchais de a maison, appareil-photo à la main, les souvenirs me revinrent : ce fut le nom « Napoléon », que je distinguai en premier sur la plaque de gauche, qui fut le déclencheur : l’Empereur, durant cet épisode qu’on appellera ensuite « le vol de l’Aigle », avait couché ici une nuit, dans ce qui était alors un relais de poste, sur le parcours qui le conduisit de l’île d’Elbe aux Tuileries, en mars 1815. Rarement mentionnée si ce n’est dans les récits les plus détaillés, cette étape moins prestigieuse que d’autres avait été mise à profit dans le cadre d’une chasse au trésor sur laquelle j’avais travaillé… Je crois, l’une des Rose des Vents de France 3.

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L’extrémité de la maison avec les plaques, l’une commémorant le bref séjour de
l’Empereur, l’autre signalant que nous sommes ici au point le plus haut de la
route Paris-Lyon, à l’époque des diligences…

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Détail de la plaque Napoléon

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Détail de l’autre

Ah ! la Rose des Vents ! Abhorrée et adorée à la fois, vaste événement médiatique, grand rendez-vous estival pour tous les chasseurs de trésors ludiques que nous étions alors… Présente chaque semaine (était-ce le mardi soir ?), tout l’été, sur l’antenne nationale de France 3 à l’heure de grande écoute que l’on n’appelait pas encore le prime time, il était difficile pour les amateurs de ne pas s’y consacrer, car en dépit de la niaiserie bienveillante de Sylvain Augier et de la médiocrité souvent affligeante des candidats (il y eut, je vous le concède, des exceptions), la présence technologique de DEUX hélicoptères, un par candidat (il fallait bien que cette Carte aux trésors fasse plus, faute de pouvoir faire mieux, que la vénérée Chasse au trésor de Dieuleveult) et les images très télégéniques qu’ils permettaient d’obtenir de sites plus spectaculaires les uns que les autres, avaient pour effet de river à leur petit écran nombre de chasseurs de trésors, expérimentés ou pas, dans l’attente de la diffusion des indices réservés à la grande chasse nationale qui se déroulait parallèlement aux émissions.

Certes, l’auteur des énigmes, affublé du titre pompeux de « Maître du jeu », avait par ailleurs choisi un pseudonyme ridicule : « l’Homme en noir », et comme on ne le voyait jamais à l’image, tout le monde se fichait qu’il soit « en noir » plutôt qu’« en rose à pois bleus », mais la fine brochette de prix Nobel de littérature qui composait l’équipe de production avait dû penser que ça ferait plus dramatique.

Certes encore, les énigmes elles-mêmes, qu’elles aient été pondues par l’Homme en noir (ah ! ce pseudo ! appelons-le « H.N. ») ou avec l’aide du brillant aréopage qui l’entourait, ne sollicitaient pas beaucoup les neurones, calibrées qu’elles étaient pour le grand, le vaste public qui regardait les émissions, et dont la chaîne espérait secrètement, en vue du grand happening final, drainer le plus vaste troupeau possible vers la chasse au trésor, selon le bon vieux principe « à défaut de la qualité, ayons la quantité ».

Certes toujours, les réponse données par H.N. au Minitel (le procédé des questions-réponses à l’auteur sur Minitel avait été décalqué de la Chouette) variaient du hautement fantaisiste au grand n’importe quoi (les questions aussi, il faut l’admettre), bien loin de la rigueur maxienne en vigueur…

Certes enfin, H.N. s’était montré d’une totale inconscience dans la conception de la toute dernière énigme de la première Rose des vents, où il s’agissait de mesurer 60 mètres, rien de moins, à partir du dernier repère, et en plus en descente, ce qui n’augurait rien de bon pour les années suivantes…

… Mais en dépit de tout cela, « la RDV » restait un grand moment de l’année pour les chercheurs, qui au fil du temps, et pour contrebattre les effets pervers de la ruée en masse sur la zone, le dernier soir, de quelques milliers d’individus armés de pelles-bêches et de pioches, prêts à creuser n’importe où, quitte à tout dévaster ou à éborgner quelqu’un, apprirent à constituer des équipes nombreuses et organisées, les « pros » des chasses gagnant quasiment à chaque fois, tout aussi inévitablement que si on me faisait jouer 5 sets contre Nadal, la disproportion étant à peu la même en termes d’expérience, de neurones et d’organisation. C’est d’ailleurs une des raisons qui conduisit France 3 à arrêter la RDV au bout de quelques années, lorsqu’on s’avisa en haut lieu que les chances n’étaient vraiment pas égales, et qu’en plus l’une des éditions se trouva polluée par des suspicions de tricheries (comme il semble que ce soit, hélas ! le triste destin de nombreuses chasses), à telle enseigne que, cette année-là (en 2000), le lot ne fut pas attribué. J’avais d’ailleurs été très officiellement consulté par France 3 et la société de production de l’émission, en ma double qualité de juriste et de chasseur (n’ayant pas participé à cette édition-là), avant que la délibération finale ne soit rendue.

Depuis, les chasses au trésor ont été dédaignées par les sponsors et autres organisateurs potentiels. À part la Chouette, qui regroupe encore des fidèles dont le nombre et la résilience ne laissent pas de m’étonner, il n’existe plus aujourd’hui de véritable chasse, même si des projets existent comme cela a toujours été le cas.

Quoi qu’il en soit, et à l’issue de cette longue digression rose-des-ventesque, me revoilà devant mon relais de poste de Pierre-Écrite qui fit partie, si ma mémoire ne me trahit pas, d’une RDV (si vous vous souvenez de laquelle, dites-le-moi ici !). Réflexion faite, je ne pense pas être jamais venu personnellement en ce lieu, mais d’autres l’ont fait, ont pris une photo, et c’est cette photo que j’ai vue, à l’époque, et dont le souvenir, logé dans un infime recoin de ma mémoire, est subitement remonté à la surface en m’envoyant cet émouvant « déjà vu » qui m’a ramené d’un seul coup une bonne quinzaine d’années en arrière.

C’est-y quand même quèque chose, comment qu’ça marche, la tête, pas vrai Mâme Michu ?

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Le balcon où l’Empereur s’accouda peut-être…

~ par monglane sur 21 juin 2012.

8 Réponses to “Retour sur une chasse passée… mais laquelle ?”

  1. Ah, j’aime beaucoup. C’est tellement vrai tout ça.
    Bien à toi,
    Patrice

  2. Eh bien, c’est certain que le cerveau et les souvenirs tout particulièrement ont une mécanique bien à eux !

  3. bon allez Monglane je vais lever le doute qui s’est immiscé en toi .. Le phénomène du déjà vu est bien connu des scientifiques et c’est là qu’on rigole car cela viendrait d’une zone du cerveau : le parahippocampe ! Donc ton déjà vu s’explique ainsi : PAR LA BOUSSOLE et LE PIED …
    ce qui veut dire ne perd pas la « boule » ou ne perd pas le nord … Pouarfff
    Plus sérieusement tu as perdu un ou plusieurs neurones mais ne t’inquiète pas il en reste !
    Merci pour ton article on a appris un truc.
    Bisous.

    • Hmmm… Ton para… chose, là, me semble bien suspect… Enfin bon, je veux bien te croire… pour cette fois!

      Bonne chasse!

      Cordialement.

  4. Bonjour Monglane
    J’avais envie d’écrire un petit mot sur votre blog bien sympathique, blog que j’ai découvert hier soir et parcouru durant de longues heures.
    Ravi de revivre ces émotions de chercheur de trésor où en 1996 près de la « pierre branlante » j’ai creusé à 60 m, mais dans la mauvaise direction :-)) ; en 1997 j’ai filmé cette plaque et cette bâtisse, mais je n’étais pas à la bonne place encore une fois car si mes souvenirs sont bons il s’agissait d’une autre plaque trouvée peu de temps après par un chasseur.
    En 1998, échec aussi avec l’auge avec la sacrée voûte plantaire…
    Paris-Match n)6 fiasco également ! BOUH !!!
    Bref, tout ceci pour dire que vos photos ont un lien avec la rose-des-vents de 1997…

    Bien amicalement
    (moufette et) 13or

    • Que de souvenirs que tout cela, n’est-ce pas…? C’était en d’autres temps, des temps plus harmonieux, où l’on ne savait pas encore que le ver était prêt à entrer dans le fruit, et où l’on profitait sans arrière-pensées des jeux qui nous passionnaient…

      Merci pour votre message!

      Amicalement.

  5. Bonjour Monglane

    En cherchant à raviver ma mémoire d’ancien déchiffreur d’énigmes, je suis tombé sur ton blog.
    Il me semble d’ailleurs que nous nous sommes croisé lors d’une chasse au trésor organisée par un certain « évasion » près de Bort les Orgues, si ma mémoire est bonne il y avait aussi Moufette et 13or.
    Je te confirme que Pierre écrite était la réponse clé de la rose des vents 1997, la seule année ou il ne fallait pas creuser pour trouver une rose des vents mais trouver sur le mur d’une maison de Tannay dans la Nièvre une pierre écrite ou il était gravé : « QVOY QVL TV FACE PENSE A CE QVE TV FAICS ET REGARDE LA FIN : 1568 ».
    J’ai eu le plaisir, avec le concours de mon frère, de remporter la rose des vents 1997.
    Lors de la finale de 1998 avec mon frère nous étions à Crozant, pas très loin de l’auge, mais nous avons séché sur la dernière énigme. C’est là que j’ai appris que le vainqueur était le même que celui de 1996 « exocet »
    En 1999 à Clécy, avec un autre chasseur nous avons creusé sans succès près du châtaignier.
    Nous avons appris le lendemain matin qu’elle avait été découverte à cet endroit encore par membre du clan « exocet ».
    En 2000 j’ai lamentablement pataugé et j’ai laissé tomber lorsque j’ai compris que cela se passerait dans le sud de la France. Il n’y a pas eu de gagnant en raison du déroulement nébuleux de la finale.
    Tout cela est bien loin maintenant, mais ça fait du bien d’y revenir de temps en temps.

    Bien cordialement
    Oeil

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