Tout le monde sait que je ne cherche plus la Chouette depuis des années, et que je n’ai aucune intention de m’y remettre, sous quelque prétexte que ce soit. Cela n’a pas changé.
Cependant, je ne peux pas empêcher mon cerveau de cogiter, ni mes yeux de voir, ni mes lectures de coïncider de temps à autre (rarement!) avec tel ou tel thème présent dans les énigmes de cette merveilleuse chasse au trésor, dont le mystère demeure à ce jour tout aussi impénétrable qu’il y a un quart de siècle.
C’est ainsi que, l’année dernière, je compris enfin, par quelque étrange illumination spontanée (l’espace d’un instant, je me suis cru dans la peau de Bernadette Soubirous…), combien sont les «eux» de la 520, et surtout, combien d’intervalles il y a entre eux. Cette révélation me fut faite en attendant à un feu rouge, alors que je devais par ailleurs avoir l’esprit parfaitement vide de toute pensée vaguement cohérente… Quand on nous affirme que nous n’utilisons consciemment qu’une faible partie des ressources de notre cerveau, il y a des moments où je suis tout prêt à le croire.
Bref, clôturons ce chapitre, et revenons à nos moutons. Je lisais l’autre jour un bouquin sur les Trésors de l’UNESCO en France, quand la page consacrée à l’œuvre de Le Corbusier attira mon attention : une jolie photo de la chapelle Notre–Dame de Ronchamp y figurait, avec ses murs chaulés et son toit de béton brut bien sombre, dont l’un des pans au moins ressemble de manière frappante à une coque de voilier, particulièrement pour le voileux indécrottable que je suis.
L’on sait bien que, concernant les concepts de Navire Noir Perché (NNP) et de Nef encalminée, les théories abondent. Parmi celles qui considèrent que Nef et NNP sont des entités tangibles qu’il convient d’identifier par le décryptage des énigmes, il en existe qui postulent une unicité entre lesdits concepts. Autrement dit, l’objet tangible que Max appelle NNP, et celui qu’il appelle Nef encalminée, sont, sur le terrain, le même. Le fait que cet objet tangible unique puisse, par ailleurs, symboliser deux choses différentes, ou servir à deux choses différentes (ou davantage !), ne m’intéresse pas ici. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir quel pourrait être cet objet tangible, qui pourrait à la fois être qualifié de «Navire Noir Perché» et appelé aussi «Nef encalminée».
Prenons d’abord le NNP : l’objet que nous recherchons doit être un navire, ou y ressembler ; il doit être «noir» —ou, a minima, bien sombre, par contraste avec les éléments qui l’entourent sur le terrain ; et situé en hauteur, pour mériter son qualificatif de «perché». Point n’est besoin qu’il soit bien haut : il suffit qu’il soit «au-dessus» des autres éléments qui sont à proximité immédiate.
Prenons ensuite la Nef : puisqu’une nef, c’est un navire, on revient à l’assimilation évoquée ci-dessus : l’objet en question doit évoquer un navire. Toutefois, le mot «nef» possède une autre acception, architecturale celle-là : la nef d’une église, c’est-à-dire la partie comprise entre la façade (ou le narthex s’il en existe un) et la croisée du transept. Il serait donc amusant et futé que l’objet tangible que nous cherchons puisse aussi évoquer ce second sens, même si cela n’est pas a priori une obligation.
Regardons ensuite la chapelle de Ronchamp, vue sous cet angle ultra–classique (et merci à la fondation Le Corbusier pour cette image) :

Chapelle Notre–Dame de Ronchamp, par Le Corbusier (photo fondation Le Corbusier)
La coque de navire est bien là, particulièrement flagrante dans la partie droite du toit. La sombreur, j’oserais presque dire «la noirceur» est également incontestable, et renforcée par le contraste avec les murs blancs. Et quant au fait que ce «navire noir» putatif soit perché, pas de contestation non plus, c’est physiquement évident, s’agissant du toit du bâtiment.
La nef, ensuite : non seulement l’acception de «navire» saute aux yeux, comme on l’a vu, mais encore ce toit-là est-il celui d’une chapelle, dont il recouvre donc… la nef. C’est le genre de chose qu’un concepteur d’énigmes est fondé à trouver «joli», particulièrement dans les années 1990, époque où les chasses au trésor ludiques étaient un sport encore largement inconnu en France. Quant au fait, enfin, que cette nef soit «encalminée», son statut d’immeuble répond sans nul doute à cette exigence.
Si l’on part du principe que la Nef et le NNP sont une seule et même chose (et je conçois très bien qu’on pense différemment, toutes les hypothèses sont permises!), et si l’on admet que cette «chose» est tangible et doit être localisée sur la carte (bis repetita), alors Notre–Dame de Ronchamp, non seulement répond parfaitement au «portrait–robot» (truc évoquant un navire, noir ou noirâtre, placé en hauteur, etc.), mais surtout offre un avantage dont aucun autre édifice religieux, à ma connaissance, ne peut se targuer : cette petite chapelle de rien du tout est la seule, sur la carte de France 989 (la seule que les chercheurs sont supposés utiliser à ce stade du jeu), à disposer de son propre symbole individuel !
Incroyable, mais vrai !
Pensez donc ! La cathédrale de Strasbourg ne figure pas sur la 989, pas plus que la cathédrale de Chartres, ni celle de Reims, ni Notre–Dame de la Garde à Marseille, ni même l’emblématique Notre–Dame de Paris, sur le parvis de laquelle figure pourtant le «kilomètre zéro», point d’origine de toutes les routes de France… Mais Ronchamp, humble bourg minier au pied des Vosges, à mi–chemin entre Belfort et Luxeuil, y figure bien, lui, et surtout la petite chapelle de Ronchamp y dispose de son symbole bien à elle, honneur unique et spécificité de taille (si j’ose dire) qu’un auteur d’énigmes aurait eu bien du mal à ignorer…
Je soulignerai par contraste que, si Dabo est bien mentionné sur la carte 989, la chapelle en haut du rocher de grès rouge (qui n’a jamais été noir, sauf par une nuit sans Lune) ne l’est pas…
Bien entendu, je ne sais pas si la chapelle de Ronchamp est le NNP, ou la Nef, ou les deux, ou aucun des deux. Je sais seulement que, si j’écrivais des énigmes et que je sois à la recherche d’un lieu remarquable situé dans ce coin de France, lieu qui soit éventuellement commode pour y faire passer un ou plusieurs traits dans la suite du jeu, eh bien la petite chapelle de Le Corbusier aurait fait une très jolie candidate : peu connue du grand public à l’époque, on ne l’identifie évidemment pas lorsque le décryptage primaire de la 600 nous fournit l’entité NNP ; pourtant, dès la 500, les outils de l’architecte nous mettent sur la piste… et je ne vous cache pas que le trait qu’à l’époque j’avais tiré sur ma 989 à la fin de la 560, passait bien par Bourges et par la chapelle Notre–Dame de Ronchamp.